Cuisinière de renom, première femme à être triplement étoilée au guide Michelin, professeure de Paul Bocuse … La Mère Brazier a beau avoir un parcours impressionnant, elle reste méconnue du grand public. Changeons cela !
Disons-le tout de suite : sans la mère Brazier, la cuisine lyonnaise ne serait pas ce qu’elle est. Pourtant, les chances étaient en sa défaveur. Une femme, de classe populaire, sans le sou, qui devient une institution jusqu’à obtenir six étoiles Michelin pour ses deux restaurants, ce fut une première dans l’histoire de la cuisine. Bref, une personnalité inspirante que je vous raconte ici.
C’est quoi les "mères" lyonnaises ?
Si vous vous aimez les bouchons lyonnais, vous avez déjà dû croiser ces « mères ». Cette appellation maternelle fait référence à des femmes cheffes, souvent d’anciennes cuisinières de grandes maisons bourgeoises qui avaient été renvoyées après la crise économique de 1929. On en recensait à l’époque une trentaine à Lyon comme la Mère Brigousse, la Mère Vittet. La Mère Fillioux et la Mère Brazier sont les plus connues aujourd’hui encore.
D’Eugénie Brazier à la mère Brazier
Si Eugénie est devenue une légende de la cuisine, son enfance était bien loin de ce monde. Née en 1895 à côté de Bourg en Bresse, elle est mise à la porte à la mort de sa mère alors qu’elle n’a que dix ans et est envoyée à la ferme pour garder vaches et cochons.
Mais son aventure avec un homme marié et la grossesse qui s’en suit vont bouleverser sa vie. Chassée, elle part pour Lyon afin de travailler chez un fabricant de pâtes, la famille Milliat. Embauchée en tant que nourrice, elle est un jour chargée des fourneaux pour remplacer la cuisinière tombée malade. Tout de suite, le travail lui plaît.
Quelques années plus tard, alors que la première guerre mondiale s’achève, la jeune femme est engagée chez la mère Fillioux. C’est auprès de cette grande figure de la cuisine qu’elle apprend ses recettes mythiques telles que le potage velouté aux truffes, la volaille demi-deuil, ou encore la quenelle au gratin.
Trois étoiles pour la mère Brazier
Après quelques années chez la mère Fillioux puis à la brasserie du Dragon, Eugénie ouvre son propre bouchon en 1921. Elle y reprend les recettes de son mentor et, le bouche à oreille aidant, devient l’une des tables les plus incontournables de Lyon. Aidé par des habitués tels qu’Édouard Herriot, maire de la ville, ou du critique culinaire Curnonsky, son restaurant affiche complet rapidement.
Afin de se reposer, la cuisinière s’évade occasionnellement dans un chalet au col de la Luère, près de Lyon. Mais ses clients la réclament, ce qui la décide à ouvrir un second restaurant en 1929 ici même. Trois ans après son ouverture, la mère Brazier se voit attribuée deux étoiles à chacun des deux restaurants*, suivi d’une troisième en 1933**, devenant ainsi la première cheffe – femmes et hommes confondus - doublement triple étoilée. Un exploit qui ne sera réédité qu’en 1997 par Alain Ducasse.
Reconnue par ses pairs, la mère Brazier continua de travailler jusqu’à l’âge de 72 ans, avant de passer la main à son fils, Gaston. Entre temps, elle eut bon nombre de clients et d’apprentis… dont le jeune Paul Bocuse. C’est sa petite-fille, Jacquotte Brazier, qui reprit le restaurant de la rue Royale et ce, durant trente ans. Aujourd’hui et depuis 2008, l’établissement appartient à Mathieu Viannay, Meilleur Ouvrier de France 2004 et chef deux étoiles, qui a conservé le décor d’origine et les recettes emblématiques, avec quelques revisites.
Eugénie Brazier s’est éteinte en 1977, à 81 ans, laissant derrière elle un héritage culinaire riche et une réussite inspirante dans ce monde très masculin.
* Elle sera suivie par Marguerite Bise en 1951 et Anne-Sophie Pic en 2007.
**Elle obtient ses trois étoiles la même année que Fernand Point et Marie Bourgeois (qui les conserva quatre années de suite).
Sources :
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